Nuit des sorcières (30 avril-1er mai)

 » La nuit de saints Philippe et Jacques[1] arriva. Après avoir fait, avec sa craie bénie des Rois Mages, trois croix sur chaque porte, la porte d’entrée de la maison, celle de l’étable et celle du poulailler [2], grand-mère se rendit au sommet de la colline pelée du château avec les enfants. Les petits garçons portaient de vieux balais sur leurs épaules. Kristla, Míla, toute la jeunesse de la ferme et du moulin, y compris Mančinka, étaient déjà là-haut. Václav Kudrna et ses frères aidaient Míla à couvrir les balais de poix tandis que les autres arrangeaient du bois et des fagots pour monter un bûcher. La nuit était belle, un vent tiède faisait frémir les blés en herbe et monter sur la colline les senteurs fleuries du parc et des vergers. Le hululement d’une chouette monta de la forêt, dans le haut peuplier au bord de la route un merle chanta, les chants délicieux d’un rossignol s’élevèrent des buissons du parc. Tout à coup, une flamme parut sur la colline de Žlíč, un bref instant après, c’en fut une autre, sur la colline de Žernov puis, sur les versants, des flammes grandes et petites se mirent à briller et sautiller. Plus loin, sur les collines de Náchod et de Nové Město, des feux s’élançaient, des lumières dansaient. Míla à son tour mit feu à un balai couvert de poix, le jeta sur le bûcher qui s’enflamma aussitôt. Les jeunes gens poussèrent des cris de joie, chacun s’empara d’un balai empoissé, l’enflamma et le jeta le plus haut possible dans les airs en criant : « Vole, sorcière ! Vole ! » Puis ils s’assortirent et se lancèrent dans une danse aux flambeaux. Les filles, main dans la main, faisaient la ronde en chantant autour du bûcher. Lorsqu’il s’effondra, elles en dispersèrent les braises et se mirent à sauter par-dessus aussi loin que possible.

« Regardez ça ! Cette vieille sorcière va voler plus haut que les autres ! » annonça Míla en saisissant un balai. Il le lança si fort que celui-ci siffla dans les airs et s’élevant très haut arriva tout près du blé en herbe où se trouvaient des spectateurs. « Celle-là, elle en crache ! » rirent les jeunes gens en courant chercher le balai crépitant. Les garçons applaudirent. Des collines de Žernov et de Žlíč aussi s’élevaient des rires, des cris et des hourras. Alentour, le rougeoiement des flammes étincelait en une ronde sauvage qui semblait faite de créatures fantastiques. À tout instant, un diablotin s’élevait dans les airs, ébrouait sa tête enflammée d’où pleuvaient mille étincelles puis retombait sous les cris d’enthousiasme. « Regardez ! Elle a volé bien haut, celle-là ! » cria Mančinka en désignant la colline de Žernov. Mais une femme lui rabattit la main en la sermonnant : on ne doit pas montrer une sorcière du doigt, elle pourrait le prendre pour cible et décocher un mauvais sort.

Il était déjà tard lorsque les enfants et grand-mère rentrèrent. Au beau milieu du verger fleuri, près de la maison, Barunka s’arrêta et chuchota : « Grand-mère… vous n’entendez rien ? J’ai cru entendre un murmure.

– Ce n’est rien, c’est le vent qui joue avec les feuilles, répondit la vieille femme. Et il fait bien.

– Pourquoi ?

– Parce que grâce à lui les arbres se penchent les uns vers les autres.On dit que lorsque les arbres en fleurs s’embrassent et s’enlacent, la récolte sera abondante.


[1] Nuit du 30 avril au 1er mai, le premier mai étant la fête des apôtres saint Philippe et saint Jacques le mineur.

[2] Pour garder à distance et empêcher d’entrer les esprits nuisibles qui volent cette nuit-là et pourraient causer des dommages aux bêtes comme aux gens.

Extrait de Babička « Babitchka / Grand-mère. Tableaux de la vie campagnarde » (1855), éd. Zoe, collection « Classiques du monde ». Traduction Eurydice Antolin.

La femme du charbonnier

Holanova était femme d’un charbonnier. Elle ne savait plus où donner de la tête : ses sept enfants, petits comme des bûchettes d’allumage, s’entortillaient et s’agrippaient à ses jupons en pleurant, réclamant qui un câlin, qui un morceau de pain.

C’est en soupirant qu’elle partagea entre eux le dernier morceau de pain noir tout en sachant qu’il n’y suffirait pas et elle tentait de les consoler par ces paroles : “Attendez un instant, je vais vous cuire des pommes de terre.”

“Je ne veux pas de pommes de terre ! Je veux des gâteaux !” se plaignit le petit Pepík.

“Tais-toi donc, il faut te contenter de ce que ta mère peut te donner. D’ailleurs, tu prends toujours la plus grosse part !” le réprimanda sa sœur aînée, Rozarka.

“Ne lui en fait pas le reproche, ma fille, dit la mère en lui caressant les cheveux. Je vous aime tous autant et je vous donnerais tout.”

“C’est bien pour ça que vous m’achèterez une poupée, hein, maman chérie ?”

“Et à moi un cheval de bois !

“Moi, des habits neufs !”

“Mes chéris, où pourrais-je prendre cela ?”

“Quand papa apportera de l’argent.”

“Il y suffira juste pour le pain et la semoule pour les bouillies de notre petite Andulka”, dit la mère.

Pepík se mit à raisonner : “Et pourquoi nous n’avons rien, nous ? Nous allons pieds nus, portons toujours les mêmes habits et nous ne mangeons jamais à notre faim !”

La mère se détourna. Elle avait ses enfants en pitié. Elle fit signe à Rozarka de mettre le chaudron de pommes de terre sur la cuisinière à bois et elle berça la petite Andulka jusqu’à ce qu’elle s’endorme.

Pepík fit la grimace : “Mais maman, il n’y a pas assez de pommes de terre !”

“Donne, je vais t’en rajouter.”

“Mais… vous n’allez même pas manger !” dit Rozarka.

“Et papa ? Est-ce qu’il va revenir souper ?”

“Non, il doit couver le charbon dans la forêt. Venez faire gentiment vos prières avant de vous mettre au lit.”

Une fois les enfants au lit, la femme se plaça sur le banc près de la cheminée pour bercer son nouveau-né. Elle somnolait peut-être à demi, qui sait, toujours est-il que se trouva soudain devant elle un petit homme distordu qui arborait un diamant sur son bonnet pointu.

“Je suis Taille-Caillou”, lança-t-il à la femme ébahie.

“Taille-Caillou ? Je n’ai jamais entendu parler de toi. Que recherches-tu ici ?”

“Je suis un des lutins de nos Montagnes du Géant, du royaume de Krakonoš. Si tu le souhaites, je peux vous tirer du manque et de la misère.”

“Ah, fais qu’il en soit ainsi, gentil Taille-Caillou ! Je te le demande non pas pour moi, mais pour mes enfants.”

“Je te donnerai un plein tablier d’or et d’argent si tu me donnes pour cela la petite Andulka.”

“Vil tentateur ! Hors d’ici ! Tu n’auras pas mon enfant !”

“Elle se portera bien chez nous : nous la nourrirons de miel et de noisettes. Elle deviendra notre reine et vous serez riches”, promit Taille-Caillou.

“Non et non ! Tant que je serai en vie, mes enfants ne se porteront pas plus mal !”

“Soit. Comme tu voudras.”

“Ton seigneur, le puissant Krakonoš, n’est pas aussi insensible que toi, farfadet. Si je lui demandais son aide, il me la donnerait sans exiger un si grand sacrifice.”

“Dans ce cas, va donc lui parler. Voici un coucou doré, la clef qui ouvre sa porte lorsqu’on en touche le Pic des Neiges, elle t’ouvrira le sentier qui mène à notre souverain.”

En quelques cabrioles cocasses, Taille-Caillou disparut et la femme eût pensé que ce n’était qu’un rêve si ne s’était trouvé sur ses genoux un beau coucou doré.

Elle n’en confia pas un mot à son mari même et, le lendemain, accompagnée des deux plus petits et de ce petit fouineur de Pepík, de sorte qu’il ne puisse faire de bêtises à la maison, elle se mit en route vers le Mont des Neiges. Elle suivit les conseils de Taille-Caillou et parvint dans une large salle dorée où siégeait Krakonoš sous la forme d’un vieillard bienveillant aux cheveux d’argent.

“Je sais ce qui t’a menée jusqu’à moi, pauvre femme. Prends ce que tu veux d’or et d’argent et repars en paix avec tes enfants.”

Sans aucun doute en voyant ce gigantesque tas de richesses, la femme perdit lesens des réalités. Autrement, elle aurait simplement rempli sa corbeille et s’en serait allée. Au lieu de cela, pensant au grand nombre d’enfants qu’ils avaient, elle remplit sa corbeille, ses poches, son fichu et, ne pouvant plus porter Andulka, elle la déposa sur l’herbe, sa sœur à côté pour qu’elle ne soit pas seule et s’en retourna ramasser. Pepík la suivait, son bonnet rempli de pièces d’or.

Elle apporta le trésor en lieu sûr et, de retour au rocher, s’effara de ne pas y retrouver ses enfants ! Le coucou d’or était lui aussi perdu.

“Mes enfants ! Mes chers enfants !” se lamentait-elle. L’or était tout à fait sorti de son esprit.

Pepík, lui, accourut à la maison tout effaré en tendant son bonnet plein d’or et fut accueilli par des rires : son bonnet débordait de poussière.

Le charbonnier, comprenant où était sa femme, se rendit au Mont des Neiges.

Lorsqu’il eut entendu son récit, il fut très affligé.

Le rocher ne s’ouvrait pas et les parents cheminèrent tout chagrinés jusque chez eux.

Mais dans la maison charbonnière, vers minuit, Krakonoš s’en vint. Il portait dans ses bras deux enfants. En les rendant à leur mère, il dit : “Vous avez compris que les enfants valent plus que la richesse. Mère, ce que tu as pris dans mon jardin ne vaut rien : tout s’est changé en mousse et brindilles. Tu n’y as d’ailleurs plus pensé, tant était grand ton chagrin d’avoir perdu tes enfants. Vous ne serez bénis que de ce que ces innocentes peuvent vous apporter. Elevez-les bien et soyez heureux !”

Il disparut sans laisser la moindre trace.

Les fillettes avaient leurs tabliers pleins de pièces d’or et la misère fut chassée pour de bon de la maisonnée du charbonnier.

Une fois que les heureux parents, ayant mis au lit leur progéniture, furent couchés, voici qu’apparaît Taille-Caillou qui cabriole et saute près du four, sur la paillasse de Pepík : “Alors, on a bien remplit son bonnet aujourd’hui ?” s’exclama-t-il en tirant les cheveux du petit garçon.

“Et en plus te moques de moi…” se renfrogna le garçon.

“Blâme ton propre caractère ! Tu fâches ta mère, tu n’as aucune modestie, tu voles le pain et les pommes de terre de tes frères et sœurs. Je te tirerai les cheveux chaque fois que tu entreras dans la forêt, tant que tu ne feras pas un effort !

“Ah oui ?!”

“Et je dirai à tes frères et sœurs, s’il veulent des gâteaux, des beignets, des jouets, des habits, de demander bien gentiment et de ne pas crier. Celui qui n’écoutera pas aura chaque nuit ma visite, je tirerai une plume de son oreiller et je lui chatouillerai le bout du nez.”

Le farfadet fit une cabriole et disparut devant le nez de Pepík ébahi, mais le garçon n’oublia jamais sa visite. La femme du charbonnier vécut heureuse avec ses gentils enfants.

Traduction : Eurydice Antolin Source : Ludmila Grossmannová-Brodská Krakonoš nejkrásnější pohádky, báchorky a pověsti o Pánu na Krkonošských horách. Nakl. Emil Šolc spol.s.r.o., khnihkupec v Karlíně.

Le cygne

Version audio adaptée par En forme de poire

Un roi avait un fils très gracieux et bon qu’il aimait par-dessus tout. La reine, sa marâtre, ne l’en détestait que plus. Elle n’avait pourtant aucun enfant à elle, en faveur duquel elle eût pu envier la primauté. Elle le haïssait car elle voulait régner seule et qu’il était son seul obstacle à cela. C’est que le roi, par grand amour pour lui, voulait lui donner le gouvernement avant l’heure. À cela, elle ne voulut point consentir. Sachant que ni la ruse ni les ressources de son intelligence, grâce auxquelles elle se montrait très habile auprès du roi, ne lui seraient d’aucune aide, elle choisit un autre moyen, bien pire. Son cœur ténébreux était capable de tout.

À quelques miles de la capitale, dans la forêt, vivait une vieille sorcière dont les sortilèges et l’art mystérieux avaient acquis grande réputation dans toute la région. La reine se tourna vers elle. Déguisée, elle se rendit dans la forêt où vivait la vieille. Lorsqu’elle parvint au lieu désigné, elle vit une grotte dont l’entrée était gardée par deux dragons. Ceux-ci, dès qu’ils la virent, crachèrent du feu par les yeux et la gueule, mais elle n’eût pas peur et, d’une voix forte, appela la vieille. Celle-ci sortit après un court instant, accompagnée de deux chats, deux chouettes et d’autres créatures étranges.

« Quelle est ta demande, reine ? » dit la sorcière.

La reine fut étonnée qu’elle l’ait reconnue et lui dit : « J’ai beaucoup entendu parler de toi et de ton art, aussi souhaiterais-je te demander ton aide dans une affaire qui m’importe beaucoup et pour laquelle je te donnerai une récompense royale.

– Si ce que tu me demandes est en mon pouvoir, je veux faire selon ta volonté, répondit la vieille, impatiente de la récompense promise.

– Je me suis aperçue que tu avais grande connaissance des choses les plus secrètes, il sera sans doute inutile de te dire que j’ai un fils d’une beauté hors du commun que je déteste et dont je souhaiterais me débarrasser car il m’empêche d’accéder au trône. S’il t’est possible de le changer en animal et de l’exiler de la cour, je te donnerai ce que tu voudras. »

Après un temps de réflexion, le sorcière répondit : « Dame ! C’est une chose difficile, mais je vais essayer. Demain, au mitan du jour, je viendrai à la cour. »

Contentée par ces paroles, la reine quitta la forêt. Le lendemain, à midi, la sorcière, invisible pour les autres, se présenta à la reine qui l’attendait avec impatience dans ses quartiers. La femme sorceresse, s’appuyant sur un bâton enroulé comme un serpent, lui dit : « Tout d’abord, il me faut quelques cheveux du prince.

– Ce sera en effet chose difficile », dit la reine, pensive, en parcourant la pièce. Un instant après, elle sortit pour se rendre au jardin, où le prince venait de passer du temps et elle le trouva sous un arbre, blotti dans un délicieux sommeil. Sitôt qu’elle l’aperçut, elle se réjouit d’obtenir ces cheveux si facilement et si rapidement. Elle courut le dire à la vieille qui, sans attendre trancha quelques cheveux du prince d’un couteau affuté.

Le prince, toutefois, était si beau qu’il éveilla la pitié dans le cœur endurci de la sorcière. Aussi se dit-elle qu’elle ne voulait pas l’exiler à tout jamais, comme la reine l’avait prescrit. De retour au château, elle s’enferma dans une pièce pour accomplir son sortilège. Le prince dormait tranquillement. Il rêvait qu’une femme laide s’approchait de lui et le touchait avec un bâton noir en lui disant : « Change-toi en beau cygne blanc, mais garde tes sentiments humains. Que ton chant soit si gracieux que quiconque l’entendra t’aimera. Si tu gagnes, sous cette forme, le cœur de la plus belle des princesses, qu’elle méprise la volonté d’un prince puissant et te prend pour époux, tu seras libéré. Celle qui est la cause de ta métamorphose sera alors changée en vilaine araignée. »

Terrifié par ce rêve atroce, le prince s’efforça d’ouvrir les yeux pour sortir du sommeil. Lorsqu’il y parvint, il fut terriblement apeuré car il s’aperçut qu’il voguait sur un lac, changé en cygne. Il lança une plainte, un long chant si douloureux que tous ceux qui se trouvaient au château accoururent pour l’écouter. Le roi lui-même vint, le cœur lourd, écouter le chant de ce cygne. Le pauvre ne se doutait pas que c’était là son fils aimé.

Le prince ensorcelé s’éloigna et quitta son père. Il ne savait où aller ni ne voulait rester chez lui. Le roi, pendant ce temps, cherchait son fils en vain. Il ne le trouva nulle part. Il y eut des plaintes et des pleurs par tout le royaume. Le roi se dit alors qu’il allait consulter la vieille sorcière, peut-être savait-elle où il se trouvait. Elle lui dit la vérité, bien qu’elle ne lui dit pas que la reine et elle-même étaient la cause de tout cela. Le roi se lamenta et ne voulut quitter le deuil tant que son fils ne serait libéré.

Celui-ci voguait, toujours plus loin, et finit par arriver à une grande rivière où il vit maints oiseaux se racontant où ils avaient été et ce qu’ils avaient vu. Il se souvint alors que la vieille femme lui avait dit de trouver une princesse qui l’aimerait et le prendrait pour époux, qu’alors il serait libéré. Il se dit qu’il allait partir à la recherche de la plus belle jeune fille du monde.

Il se mêla aux oiseaux et leur demanda si l’un d’eux avait eu vent d’une telle princesse.

Mais aucun ne put lui donner une information sûre. Ils savaient des choses sur de belles princesses, mais aucune d’elles ne pouvait être nommée « la plus belle ». Il continua donc à voguer et vint jusqu’à la mer où volaient nombre d’hirondelles. Il demanda à l’une d’elles si elle avait connaissance d’une telle jeune fille.

« J’ai entendu parler d’une jeune fille, pépia-t-elle, qui est la plus belle du monde, mais je ne sais pas où elle se trouve.

–  Je vais te le dire, moi. Et si tu le veux, je t’y accompagnerai », roucoula un pigeon sauvage qui avait entendu la fin de leur conversation. « Je connais cette princesse, je vais là-bas parfois et je reçois toujours de sa main la meilleure nourriture. Si tu y consens, je te montrerai le chemin. »

Le cygne était empli de joie d’avoir réussi à trouver la jeune fille qui pouvait le libérer. Le pigeon gris s’éleva dans les airs et partit au loin avec le cygne. Ils volèrent longtemps sans trouver la terre sur laquelle demeurait la princesse avec son père.

Un matin, le pigeon agita ses ailes de joie en apercevant le château royal. « Nous y voilà. Dans ce jardin se trouve un étang où les oiseaux aquatiques séjournent et voici les beaux arbres parmi lesquels nous volerons. Cet après-midi, la princesse viendra et nous apportera dans ses blanches mains abondance de nourriture. Descendons dans ce jardin et attendons la. »

Sitôt dit, sitôt fait. Lorsque le cygne fendit la surface cristalline de l’étang royal, il se mit à chanter. La fille du roi, nommée Lída, était justement à sa fenêtre. « Quelle est cette voix douloureuse et si délicieuse ? se dit-elle. Qui chante si joliment ? »

Alors le pigeon se posa à la fenêtre et donna de petits coups de bec sur l’épaule de la princesse rêveuse.

« Voyons, voyons, d’où viens-tu ? As-tu faim ? » Elle lui tendit de quoi manger, mais le pigeon voleta en l’attirant à sa suite dans le jardin, jusqu’à l’étang. « Oh, quel magnifique cygne ! » lança-t-elle. Oubliant le pigeon, elle couru vers le cygne et lui donna les douces graines. Le prince fut ébloui par la beauté de cette femme et sentit son cœur battre sous son plumage blanc comme neige. Grands dieux, il n’était pas accoutumé à pareille nourriture, mais il aurait tout accepté de sa main.

« Chante, beau cygne, chante encore une fois » le pria Lída.

Il ne se fit pas plus prier. Levant son œil aimablement vers elle, il se mit à chanter si délicieusement qu’elle ressentit un étrange battement autour de son cœur. Elle avait peine à croire que c’était une voix d’oiseau. Le roi arriva et s’étonna lui aussi de ce beau chant. À partir de cet instant, la princesse préféra passer son temps près de l’étang et parler au cygne. Et ce cygne, doué de raison et amoureux, ne se laissait caresser par nul autre qu’elle. Lorsqu’il sortait de l’eau et se couchait aux pieds de la princesse, et même sur ses genoux, son bec noir baisant sa main blanche et sa joue rose, Lída souhaitait qu’il ne fut pas un cygne.

Le prince était déjà sur la belle île depuis longtemps. Un jour, Lída vint le voir en grandes plaintes : « Chante, mon cher, chante pour chasser cette douleur de mon cœur ! Ah, imagines-tu que je doive épouser un prince, un prince que je ne puis aimer ! »

Le prince, très effrayé, exprima sa douleur en un chant de langueur. Peu de temps passa avant que le promis, un prince beau et riche, ne vint rejoindre Lída.  Sitôt que le cygne ensorcelé le vit, il se mit à crier si étrangement, avec un tel désespoir, que le prince dut se boucher les oreilles et s’enfuir. Lída le remercia du fond du cœur.

Le soir, à sa fenêtre, la princesse réfléchissait à un moyen de se débarrasser du prétendant qu’elle n’aimait pas car elle devait le lendemain, soit se fiancer avec lui, soit être chassée pour toujours de la maison de son père. C’est alors que le pigeon gris la tira de ses pensées en la frappant du bec sur l’épaule.

« Je vais te donner un bon conseil, lui dit-il. Demain, choisis comme époux ton cygne blanc. Tu feras bien et tu libèreras un beau prince. » Puis il s’envola.

La princesse ne revenait pas de ce prodige, mais en entendant de nouveau le chant plaintif du cygne elle sentit en son cœur que ce ne pouvait être un simple oiseau dénué de raison. Tranquillisée, elle s’allongea.

Le cygne nagea et chanta toute la nuit car le moment qui devait décider de sa libération approchait. Si la princesse choisissait le prince, se disait-il, il en mourrait, car sans elle et sous cette apparence, la vie serait une horreur. Au point du jour, une grande agitation et un grand tumulte s’élevèrent du château. Les invités arrivaient et, partout, on préparait la noce. La princesse était la seule à ne pas y penser. L’heure approcha et, apprêtée, elle attendait dans sa robe blanche ornée de perles et de pierres précieuses. Le roi et le fiancé, vêtus d’or et d’argent vinrent la chercher pour la mener dans la grande salle.

« En aucun cas ici, dit-elle lorsqu’ils y furent. Venez à l’étang, je vous donnerai ma décision là-bas. »

Ils traversèrent donc le jardin pour aller à l’étang. Le cygne craignait que Lída ne soit venue lui dire adieu. Mais celle-ci dit : « Père, je ne puis prendre l’époux que tu m’as désigné et je préfère me séparer de toi, si tu restes sur ta décision. Permets toutefois que je parte avec ce cygne et que je sois autorisée à me fiancer à lui. »

Le roi pensa que sa fille avait perdu la raison. Elle attira à elle le chanteur et le serra dans ses bras : « Tu es mon fiancé et deviendra mon époux. »

À peine eut-elle fini de parler qu’un bel adolescent se trouvait contre son cœur et, au lieu du bec noir de l’oiseau, c’était une bouche rouge qui l’embrassait. Tout le monde fut pétrifié. Lída, elle, remerciait en son cœur le pigeon de l’avoir si bien conseillée. Le prince se détacha de ses bras, s’avança vers le roi et lui raconta tout ce qu’il lui était arrivé. Le roi ne voulut pas le croire. Mais sa fille le supplia et le prince se livra à lui, lui disant de le renvoyer à son père s’il le voulait. Le roi finit par céder.

Le fiancé écarté partit sans tarder.

Les fiançailles furent fêtées dans le tapage et la splendeur. La nuit, en entrant dans sa chambre, le prince vit le pigeon à la fenêtre. « Oiseau de bonté, lui dit-il. C’est à toi seul que je suis reconnaissant. Dis-moi qui tu es, je sais que tu n’es pas un oiseau ordinaire et j’aimerais t’exprimer ma reconnaissance.

– J’étais au service de ton grand-père, dit le pigeon. Lorsqu’il est mort, je suis allée voir une sorcière qui m’a donné sa fille en mariage et m’a appris son art. Je ne pouvais oublier ta famille, c’est pourquoi je me suis installé, lorsqu’il est mort, près de la ville où demeure ton père. Je t’ai vu souvent, et je t’ai souvent épargné des malheurs. Je n’ai pu écarter le dernier, ce n’était pas en mon pouvoir. Mais lorsque la sorcière, attendrie par ta beauté a fait exception pour le sortilège qu’elle te désignait, je me suis promis de t’aider, et voilà que j’ai réussi. Ta mère s’est changée en araignée. Lorsqu’elle te saura sur le trône, elle crèvera de jalousie. J’ai tout raconté à ton père, il est en route. Sois heureux, et souviens-toi de moi, de temps à autre. Je n’ai personne au monde et, dans ma solitude, je ne vivrai pas longtemps, alors je ne souhaite aucune récompense. » Avant que le prince n’ait eu le temps de s’en douter, le vieillard était parti.

Le lendemain, les jeunes époux dirent au revoir au père de la princesse et partirent à la rencontre  du père du prince. Ils les trouvèrent à mi-chemin. Il accueillit le fils et la fille avec une joie immense. En rentrant chez lui, le prince fut sacré roi sans délai. Tout se passa comme l’avait dit le pigeon. Dans la chambre de la reine, il n’y avait personne d’autre d’une affreuse araignée qui creva lors de l’annonce d’un nouveau roi. Le jeune roi envoya ses meilleurs messagers au père de sa femme et lorsque celui-ci vint, on l’honora de joyeux banquets. Le roi ordonna qu’aucun pigeon ne soit jamais tué dans tout le royaume, à la mémoire de son libérateur. Dans l’étang royal, on éleva beaucoup de cygnes que la reine nourrissait elle-même. Mais aucun ne sut jamais chanter aussi joliment que le prince ensorcelé.

Božena Němcová

Artuš Scheiner
Artuš Scheiner

La dame sylve

Bětuška était toute jeunette et sa mère était veuve. Une chaumine délabrée et deux chèvres étaient tout leur bien, mais Bětuška était toujours joyeuse. Du printemps à l’automne, elle faisait paître ses chèvres près de la boulaie. Lorsqu’elle partait de chez elle, sa mère mettait toujours dans son panier un morceau de pain et un fuseau, lui demandant de rapporter ce dernier plein. Comme elle n’avait pas de bâton à filer, elle enroulait le lin autour de sa tête. La fillette, son panier à la main, chantait joyeusement en sautillant derrière ses chèvres sur le chemin de la boulaie. Une fois là-bas, les chèvres paissaient, Bětuška s’asseyait sous un arbre, tirait la fibre qu’elle avait sur la tête de la main gauche et, de la main droite, faisait tourner le fuseau qui bourdonnait près du sol. Ce faisant elle chantait tant que la forêt en vibrait. Et les chevrettes paissaient.

Lorsque le soleil était au zénith, elle posait son fuseau, appelait les chèvres et leur donnait à chacune une bouchée de pain afin qu’elles ne s’en aillent pas, puis faisait un saut dans la forêt pour y grappiller quelques fraises ou un autre fruit des bois qui était à point à ce moment-là, pour agrémenter son pain d’une friandise. Une fois qu’elle avait mangé, elle gardait les mains libres et chantait en dansant. Le soleil lui souriait à travers la verdure des arbres et les chèvres qui se reposaient dans l’herbe se disaient : « Nous avons une bien joyeuse gardienne ». Après avoir dansé, elle filait de nouveau avec application et, le soir, lorsqu’elle rentrait à la maison, jamais le fuseau de sa mère n’était vide.

Un jour, alors qu’à son habitude elle se préparait à danser après son repas frugal, surgit de nulle part une très belle dame. Son voile était blanc, fin comme une toile d’araignée, une chevelure d’or tombait de ses épaules à sa taille et une couronne de fleurs des bois ceignait sa tête. Bětuška se figea. La dame lui sourit et, d’une voix très douce, lui demanda : « Bětuška, aimes-tu danser ? »

La dame parlait si gentiment que Bětuška oublia sa peur. Elle répondit : «  Oh, je danserais volontiers tout le jour durant ! »

« Alors, viens, nous danserons ensemble, je t’apprendrai », dit la dame en retroussant sa robe à la ceinture. Elle prit Bětuška dans ses bras et se mit à danser avec elle. Comme elles entraient dans la ronde, une musique retentit au-dessus de leurs têtes, une musique si suave que le cœur de Bětuška en fut tout réchauffé. Les musiciens se trouvaient dans les branches des bouleaux, ils portaient des costumes noirs, cendrés, marrons et bariolés. C’était un ensemble de musiciens choisis, qui s’étaient installés sur un signe de la dame : rossignols, alouettes, pinsons, chardonnerets, verdiers, grives, merles et même detrès habiles hypolaïs polyglottes. Bětuška avait les joues en feu, ses yeux brillaient, elle en oublia son devoir et ses chèvres, ne voyant que sa compagne qui tournoyait devant elle, autour d’elle, avec les mouvements les plus gracieux et tant de légèreté que l’herbe ne ployait pas même sous ses pieds.

Elles dansèrent de midi jusqu’au soir, pourtant les pieds de Bětuška n’étaient ni las, ni douloureux ! Puis la belle dame s’arrêta. La musique se tut… et elle disparut comme elle était apparue. Bětuška regarda autour d’elle : le soleil allait bientôt passer de l’autre côté de la forêt. Elle mit ses mains sur sa tête et sentit le lin qui n’avait pas été filé, se rappela le fuseau qui était resté vide dans l’herbe. Elle ôta le lin de sa tête, le mit dans son panier avec son fuseau, appela les chèvres et rentra chez elle. En chemin, elle ne chanta pas, se fit d’amers reproches, s’en voulant d’avoir laissé la belle dame la griser et elle se dit que s’il lui arrivait de revenir elle ne l’écouterai pas. Les chevrettes, n’entendant pas son chant, se retournaient pour voir si c’était bien leur petite bergère qui les suivait. Sa mère aussi fut surprise par son silence et lui demanda si elle était malade. « Non, ma petite maman, je ne suis pas malade, le chant a quitté ma gorge, voilà tout », prétendit Bětuška. Et elle cacha le fuseau et le lin non filé. Lorsqu’elle avait vu que sa mère n’allait pas enrouler le nouvel écheveau tout de suite, elle avait décidé de rattraper le lendemain ce qu’elle avait raté la veille et ne lui dit pas un mot au sujet de la belle dame.

Le lendemain, comme de coutume, Bětuška mena les chèvres à la boulaie. De nouveau, elle chantait gaiement. Une fois arrivées, les chèvres se mirent à paître et, assise sous l’arbre, elle se mit à filer avec ardeur en chantant car le chant fait bien mieux aller les mains au travail. Le soleil parvint au zénith. Bětuška donna des morceaux de pain aux chèvres, courut chercher des fraises et, à son retour, se mit à manger en parlant : « Ah, mes chevrettes, je ne dois pas danser aujourd’hui », soupira-t-elle en ôtant de sa jupe les miettes de pains qu’elle rassembla et déposa sur une pierre pour les oiseaux. « Et pourquoi ne devrais-tu pas danser ? » dit une voix douce. La belle dame se trouvait devant elle comme tombée des nues. Bětuška eut encore plus peur que la première fois et ferma les yeux pour ne pas la voir. Mais comme celle-ci répétait sa question, elle répondit timidement : « Ah, pardonnez-moi, belle Dame, je ne peux pas danser avec vous, parce que sinon je n’accomplirais pas ma tâche et ma mère me grondera. Aujourd’hui, avant que le soleil ne disparaisse, je dois rattraper ce que je n’ai pas fait hier.

– Viens danser. Avant que le soleil ne disparaisse, il se trouvera bien une aide pour toi ! », dit la dame en retroussant sa jupe. Elle prit Bětuška dans ses bras, les musiciens posés dans les branches du bouleau se mirent à chanter et les danseuses entrèrent dans la ronde. La dame dansa de manière encore plus envoûtante, Bětuška ne pouvait la quitter des yeux, oublia son devoir et ses chèvres. Puis le pied de la danseuse se figea, la musique cessa. Le soleil déclinait. Bětuška se frappa la tête des mains en voyant le lin qu’il restait à filer et se mit à pleurer. La belle Dame lui caressa la tête, assouplit le lin, l’enroula autour du tronc fin d’un bouleau et se mit à filer. Le fuseau bourdonnait près du sol et grossissait à vue d’œil, et avant que le soleil ne soit passé de l’autre côté de la forêt, tout le lin était filé, même celui de la veille. En déposant le rouleau dans les mains de la fille, la dame lui dit : « Tourne sans grommeler. Souviens-toi de ces paroles : Tourne sans grommeler. » Sur ces mots, elle disparut comme si la terre l’avait avalée. Bětuška était contente et se dit en chemin : « Elle est si gentille ! Je danserai de nouveau avec elle si elle revient. » Elle chantait pour que les chèvres cheminent dans la joie. Mais sa mère l’accueillit d’un air sombre. Elle s’était aperçue que la quenouille n’était pas pleine et s’adressa à sa fille en groumant : « Qu’as-tu fait hier, pour ne pas finir ton travail ? » « Pardonnez-moi, ma mère. J’ai un peu dansé », dit Bětuška l’air contrit. Puis elle montra le fuseau à sa mère en ajoutant : « Mais aujourd’hui il est de nouveau plein. » La mère se tut, alla traire les chèvres et Bětuška déposa la quenouille. Elle voulait lui confier son aventure mais se dit : « Non, si la Dame revient, je lui demanderai qui elle est, puis j’en parlerai à ma mère. » Ainsi décida-t-elle de garder le silence.

Le lendemain matin, elle mena les chèvres à la boulaie comme à l’ordinaire. Les chèvres se mirent à paître, Bětuška s’assit sous l’arbre pour filer en chantant. Le soleil parvint au zénith, elle déposa son fuseau dans l’herbe, donna une bouchée de pain à chaque chèvre, cueillit des fraises, mangea et, tout en donnant les miettes aux oiseaux, dit avec joie : « Aujourd’hui, mes chevrettes, je vais danser pour vous ! » Elle bondit, plaça ses mains et s’apprêtant à voir si elle dansait aussi bien que la dame, trouva celle-ci déjà debout devant elle : « Allons, ensemble, ensemble », lui dit-elle en souriant. La dame se saisit d’elle, la musique retentissait déjà au-dessus d’elles. D’un pas aérien elles entrèrent dans la danse. Bětuška oublia cette fois encore son fuseau et ses chèvres, ne voyant plus rien d’autre que la belle dame dont le corps se mouvait en tous sens, souple comme une branche de saule, elle n’entendait plus rien d’autre que la charmante musique qui faisait bondir ses pieds comme d’eux-mêmes.

Elles dansèrent du midi jusqu’au soir. Puis la dame s’arrêta, la musique cessa. Bětuška regarda autour d’elle, le soleil était de l’autre côté de la forêt. Elle se frappa la tête des mains et pleura penchée vers son fuseau, pensant à ce que dirait sa mère. « Donne-moi ton panier, je vais compenser ce que tu n’as pas pu faire aujourd’hui », dit la belle dame. Bětuška lui donna son panier, la dame devint invisible un instant, puis elle reparut et rendit son panier à Bětuška et lui dit : « Ne regarde dedans qu’une fois arrivée chez toi ! » avant de disparaître en un tournoiement.

Bětuška craignait de regarder dans le panier, mais à mi-chemin l’idée la tarauda. Le panier était si léger, elle eût dit qu’il n’y avait rien dedans… Elle ne put résister à regarder, à voir si la dame ne l’avait pas trompée. Elle fut effarée en voyant que le panier était plein de feuilles de bouleau ! Elle se mit alors à pleurer, en grand chagrin, se reprochant d’être naïve. Dans sa colère, elle jeta une poignée de feuilles, voulut donner un coup de pied dans le panier, mais elle se dit :« J’en ferai de la litière pour les chèvres. » Et elle laissa les feuilles dans le panier. Elle avait presque peur de rentrer chez elle. De nouveau, les chèvres avaient du mal à reconnaître leur petite bergère.

Sa mère, angoissée, l’attendait sur le seuil. « Mon dieu, quelle est cette quenouille que tu m’as rapportée hier, ma fille ? » furent ses premiers mots. « Pourquoi ? » demanda Bětuška dans l’angoisse. « Lorsque tu es partie ce matin, j’ai voulu enrouler le fil. J’enroulais, j’enroulais, et elle était toujours pleine. Un écheveau, deux, trois… et le fil était inépuisable ! Quel démon a filé cela ! ai-je grommelé. Et à cet instant, elle a disparu. Comme dans un souffle ! Dis-moi ce que c’était ! » Alors Bětuška avoua. « C’était une dame sylve ! dit sa mère, stupéfaite. Vers midi et vers minuit, elles font sarabande. Elles ont de la merci pour les jeunes filles et, bien souvent, leur offrent de précieux cadeaux. Tu aurais dû me le dire, si je n’avais pas grommelé, j’aurais du fil plein la maison… » Alors Bětuška se rappela le panier et se dit qu’il y avait peut-être, après tout, quelque chose sous ces feuilles. Elle sortit le fuseau et le lin qui n’avait pas été filé, regarda encore une fois et cria : « Regarde, mère ! » Les feuilles de bouleau s’étaient changées en or ! Bětuška s’en voulait. « Elle m’avait dit : ne regarde qu’une fois chez toi, et je ne l’ai pas écoutée ! – C’est une chance que tu n’aies pas vidé le panier ! », fit remarquer sa mère.

Au matin, elle alla voir à l’endroit où Bětuška avait jeté une poignée de feuilles, mais elle n’y trouva que de vertes feuilles de bouleau. Cependant, la richesse que Bětuška avait rapportée à la maison était bien suffisante. Sa mère acheta une ferme et elles eurent beaucoup de bétail. Bětuška eut de beaux vêtements et ne fut plus obligée d’aller paître les chèvres. Toutefois, avec tout ce qu’elle avait, si joyeuse et heureuse fut-elle, rien ne la réjouit jamais autant que de danser avec la dame sylve. Elle allait souvent à la boulaie, elle s’y sentait attirée, souhaitait la revoir, mais elle ne la revit jamais.

Božena Němcová.

Traduction : Eurydice Antolin